Billy is happy to be with his friends (Apolline et Austin)

Les démons Grimlocks, certainement la meilleure piste pour retrouver la trace de la mort de ma mère que je n'ai eue depuis des années. C'était du moins la conclusion à laquelle j'étais arrivé après plusieurs semaines d'investigations dans divers lieux rattachés à ce type de créatures infernales. Non pas que le fait de traîner au milieu de la misère me dérange, mais il me tardait désormais de pouvoir interroger le Grimlock en question qui avait, apparemment, eu des liens avec le meurtrier d'Alicia Göldin. Ce n'était certainement pas un démon de ce bas-rang qui avait pu venir à bout de ma génitrice, mais il semblait détenir des informations cruciales à ce sujet.

Cependant, depuis maintenant trois jours, j'avais épuisé les moyens de localisation à ma connaissance. Le pendule refusait de m'indiquer l'emplacement de ce démon, de même que les formules que j'avais tenté d'improviser pour le retrouver. L'une d'entre elles, d'ailleurs, m'avait emmené directement à Grimlocks, une petite ville d'Ukraine. Alors, pour éviter d'avoir à parcourir le globe malgré moi en tentant de mettre la main sur cette créature malsaine, j'avais pris la décision de me tourner vers la seule personne que je connaissais capable de m'aider dans ces recherches : Apolline, mon amie d'enfance. À un moment donné de notre adolescence, on avait même été plus que des amis, bien que cette relation ai tourné court. Aujourd'hui, mes sentiments pour elle étaient purement platoniques, et je la considérais comme une amie proche. D'autant plus qu'elle baignait elle aussi dans le monde de la magie, et que nous avions une histoire commune de disparition de mère.

Apolline habitait sur le campus de l'université de Bekerley, là où j'étudiais également. Moi, j'habitais dans un petit appartement des Downtown, ayant refusé de reprendre le manoir familial, aujourd'hui à l'abandon, après la mort de mon père quelques années plus tôt. J'ai donc du prendre le bus pour me rendre jusque chez mon amie. Les écouteurs à mes oreilles, mon téléphone dans la poche, je naviguais sur le web, à la recherche de nouvelles informations sur les démons que j'épiais. Rien d'autres que des croyances diverses, comme l'on en trouvait souvent sur le web. Les mortels et leur ignorance !

Sac-à-dos sur l'épaule, j'avais enfilé une belle chemise blanche en guise de haut, couvert d'une veste en jean, un simple jean slim noir en bas, et des chaussures en faux cuir noires. Pour parfaire mon sex-appeal – et gonfler mon ego démesuré – j'avais laissé entrouverts les boutons de ma chemise au niveau du col, pour laisser apparaître les quelques poils qui se battaient en duel sur mon torse. J'arrivais devant la porte de la chambre étudiante d'Apolline, les mains dans les poches. Je me fais alors la réflexion qu'elle n'est peut-être pas chez elle, et que j'ai peut-être fait le trajet pour rien. Je ferme les yeux, et je laisse mon corps astral se détacher du physique. Lorsque j'ouvre de nouveau les yeux, je suis dans la chambre de mon amie, et celle-ci travaille sur son bureau.

Franchement, la projection astrale, c'est hyper cool pour ça, même si c'est à la limite du voyeurisme, dans cette situation-là. Conscient que je ne peux rester sous cette forme trop longtemps – mon corps est pendant ce temps inerte dans le couloir plutôt animé d'une résidence universitaire – j'interpelle Apolline. « Ah ! T'es là ! J'avais peur d'avoir fait le trajet pour rien. ». Puis, je romps la connexion avec le plan astral. Je ressens une gêne en reprenant place dans mon enveloppe charnelle, comme à chaque fois que je fais l'expérience de ce pouvoir que je maîtrise depuis peu de temps. C'est comme si on vous passez à la machine à laver, avant de vous essorer bien fort contre une fenêtre double-vitrage. Ça ne dure que quelques secondes, mais j'ai l'impression que mes tempes vont exploser à chaque fois.

Je toque alors à la porte, sûr et certain qu'Apolline est bien présente. Le loquet ne met pas longtemps à s'ouvrir sur une brune énervée par ma petite incursion astrale dans sa chambre. Elle finit cependant par retrouver le sourire, son sourire si malicieux qui m'a fait craquer à l'époque. « Salut Apolline, content de te voir également. ». Petite pique dans sa direction, mais elle ne relève pas. C'est un petit jeu entre nous, de se charrier l'un et l'autre. « Excuse-moi, je m'entraîne encore à utiliser mon pouvoir. J'suis pas encore à l'aise avec le fait de projeter mon corps astral, alors j'ai saisi l'opportunité pour m'exercer. ».

Je souris, en coin également. Heureusement, je ne suis pas rentré pendant que mon amie était nue. Je me mets à rougir instantanément, mais elle ne doit pas le remarquer. À son invitation, j'entre dans sa chambre et je m'assois sur son lit. J'en profite pour lui expliquer un peu la situation dans laquelle je suis. « Voilà, j'cherche à trouver la trace d'un Grimlock en particulier. Ce sont des démons voleurs d'yeux, j'sais pas si tu connais. Bref, l'un d'entre eux aurait des informations concernant la mort de ma mère. J'ai tout essayé pour le localiser : pendule, formule, tenter de le retrouver avec mon corps astral. Mais rien n'y fait. T'as pas une idée par hasard pour m'aider ? ».

Apolline m'écoute avec attention, ce qui est plutôt rare venant de sa part. Elle a l'esprit tellement vif qu'il lui est généralement difficile de rester concentrée sur une conversation trop longtemps. Cette fois-là, elle finit par recevoir un message sur son ordinateur, se lève, et semble avoir une idée. Elle ne me laisse pas en placer une, se saisit de mon bras et je sens alors que tout change autour de moi. Elle vient de me faire miroiter avec elle, cette forme de téléportation normalement propre aux démons mais que certaines sorcières peuvent posséder à l'occasion. C'est une sensation étrange, et mes yeux mettent un moment avant de s'habituer de nouveau à mon environnement. Je suis dans une autre chambre, celle d'un jeune homme apparemment. Un adolescent qui doit avoir dans mes âges, et qui doit être surpris de voir apparaître une Apolline en extase et un Austin au bord du vomissement.

Apolline débute la conversation avec l'inconnu comme si de rien n'était. Une histoire de cravate, dont je ne saisis pas le sens. Moi, j'observe le garçon sous toutes ses coutures. Il est charmant, particulièrement attirant même. Il dégage quelque chose de fougueux et d'apaisant à la fois. Son visage est l'exemple même de la bonté, en plus d'être agréable au possible. Le feu monte une nouvelle fois à mes joues, et j'espère que les deux sont trop absorbés dans leur discussion pour le remarquer.

J'entends mon amie citer mon nom. Je quitte du regard le jeune homme qui me fait face, ne voulant pas qu'il remarque que je le dévisage. « Euh... J'suis pas plus doué pour faire les nœuds de cravate. ». J'ai le regard fuyant, le cœur qui bat fort. Sensation bizarre, que je ne connais pas. Je souffle un bon coup, histoire de reprendre mes esprits. « Désolé », dis-je en le fixant dans les yeux.

Apolline fait les présentations. Apparemment, l'étudiant s'appelle Billy. La jeune fille m'en a déjà parlé quelques fois, c'est son meilleur ami depuis un moment déjà. J'ignore l'étendue réelle de leur relation, mais j'ai cru comprendre qu'il baignait lui également dans le monde occulte. De toute façon, Apolline vient de nous faire apparaître devant lui sans crier gare, ce qui m'indique qu'il doit être au courant de pas mal de choses à ce niveau. Un peu gêné, je m'avance vers lui, la main tendue. « Enchanté Billy. Et désolé pour cette arrivée un peu... brusque. ». Certes, j'ai quasiment fait la même chose quelques minutes plus tôt à mon amie, mais tout de même !

Mon regard va de l'une à l'autre, tentant de fixer le moins possible mon attention sur les yeux noisette pétillants de Billy. J'suis lourd, je sais. « D'ailleurs Apo', t'aurai pu prendre deux minutes pour m'expliquer qu'on allait faire intrusion chez ton ami. ». Je souris à Billy, toujours perdu. Les choses vont trop vite, même si j'ai l'habitude avec cette double-vie.

Au sol, je vois une cravate qui traîne. Je toussote, histoire de ne pas bégayer en m'adressant à Billy. Ma voix est plus grave qu'à l'accoutumé, voulant me donner un air viril sans doute. « J'ai peut-être quelque chose qui peut t'aider pour ton histoire de nœud. Enfin, j'crois. ». J'attrape la liure qui semble avoir donné du fil à retordre au jeune homme, et je ferme les yeux. Puis, d'une voix calme et posée, j'essaie d'inventer une formule à la hâte. Je ne suis pas le plus doué dans ce domaine, mon imagination étant bien souvent limitée. « Pour que Billy sorte gagnant de son affrontement, que cette cravate se noue sur-le-champ. ». Un petit scintillement magique plus tard, la cravate dans ma main est assortis d'un nœud parfaitement réalisé. J'aime pas me servir de magie à des fins personnelles, comme je vous ai dit plus tôt, mais un petit sort de ce calibre ne peut pas faire de mal. Je ne peux m'empêcher de regarder autour de moi tout de même, histoire d'être sûr que je n'ai pas fait de nœud bizarre aux cous d'Apolline et Billy. « J'espère que ça te va. ». Je suis nul.