trust is a dangerous game (zankou)

trust is a dangerous game

Rien n’excitait autant les démons que l’odeur du sang frais après un régicide. Les menaces qui planaient sur la Source avaient toujours été nombreuses : non seulement le roi des Enfers se devait d’organiser la bataille contre les forces du Bien, mais il était également régulièrement attaqué par son propre camp. Ainsi, la moindre forme de rébellion se devait d’être matée avec la plus grande fermeté avant qu’un sentiment d’insurrection ne puisse se propager chez les sujets du royaume souterrain. Aiden s’en assurait personnellement.

Les Oracles de son maître avaient récemment fait état du retour d’une menace insidieuse bannie depuis des siècles. Leurs visions semblaient formelles : Zankou, le démon banni, avait été réveillé par certains de ses partisans. Après une audience de crise auprès de Pierce et de ses lieutenants les plus fidèles, Aiden se proposa d’établir le contact. En tant que seul non-démon dans le cercle intérieur du monarque, sa race pouvait faire gage d’une certaine neutralité pour quiconque ne le connaitrait pas. Sa mission était simple : localiser le Banni, déterminer ses intentions ; et s’il représentait une menace pour la couronne, l’éliminer avant qu’il ne puisse gagner en puissance.

La première phase de son plan n’avait pas été facile à mener. Pour une raison inconnue, les foutues Oracles de Pierce semblaient incapable d’établir clairement la position de son antre. Aiden avait ainsi passé deux semaines à remonter la piste de certaines factions hostiles à la Source, suivant les rumeurs et exterminant sur son passage tout démon ayant comploté contre le Trône. N’en déplaise aux plus pacifistes d’entre eux, la torture restait un instrument particulièrement efficace pour obtenir ses informations.

Le Dragon approchait enfin de son but, il pouvait le sentir jusque dans ses os. Il s’était rarement aventuré aussi profondément dans les entrailles du royaume souterrain et loua son ascendance de ne pas être affecté par la chaleur moite qui régnait dans ces galeries sombres. Des flammes dansant le long de ses poings, il éclairait le passage et pulvérisait les rochers qui barraient son chemin.

Au détour d’un boyau resserré, Aiden trouva enfin quelques torches illuminant l’entrée d’une caverne creusée dans une roche qui lui était inconnue. Alors qu’il s’en approchait, il y eut une série de froissements dans l’air et quatre démons lourdement armés se matérialisèrent pour en protéger l’entrée. Aiden ne recula pas d’un poil, ignorant la pointe d’un sabre pointée dans sa direction. « La Source, Roi des Enfers, votre souverain de droit et de foi, m’envoie discuter avec le démon banni nommé Zankou. Écartez-vous avant d’être exécutés pour haute trahison, vermines. » Il poussa alors un rugissement plus animal qu’humain, des flammèches au bout de la langue. Aucun obstacle ne l’empêcherait de remplir la mission qui lui avait confiée par son Roi.

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« Comment s'appelle cette chose, déjà ? » demande Zankou avec une gourmandise certaine dans les yeux. La cuillère pleine de crème glacée disparait entre ses lèvres tandis qu'il savoure sa liberté retrouvé en mangeant... un McFlurry, selon le démon présent à ses côtés. Il doit avouer que les humains se sont beaucoup améliorés avec le temps. Eux qui n'arrivaient même pas à s'entendre sur le plus petit infime détail, les voilà aujourd'hui au sommet du monde. Un monde qui ne leur appartiendra bientôt plus, d'ailleurs. Parce que si Zankou se prélasse actuellement dans son antre, dissimulé par une protection magique et son pouvoir d'intuition, qui lui permet de sentir le danger et de s'enfuir avant que les ennuis débarquent, il compte bien conquérir la surface comme il le faisait si bien à l'époque.

Mais peu de fidèles ont répondus à l'appel. Aujourd'hui, seuls une vingtaine d'entre eux sont présents pour le servir et l'aider à réaliser ses objectifs. Certains lui servent d'ailleurs d'espions, en lui racontant tout ce qui se trame en enfer. C'est grâce à eux qu'il sait que la Source actuelle est un hybride et qu'il n'a rien à voir avec son prédécesseur. Aussi, Zankou n'a pas encore décidé de ce qu'il comptait faire de ce bellâtre démoniaque. Surement rien avant longtemps, en tout cas. Ses pouvoirs ne sont malheureusement plus aussi puissants qu'à l'époque.

Le voici désormais condamné à se cacher dans l'un des recoins les plus reculés du royaume infernal, par crainte d'être vaincu par le plus insignifiant des sorciers. Une faiblesse qui le dégoute autant qu'elle le motive. Bientôt, il en est persuadé, son nom sera à nouveau sur toutes les lèvres. Et les têtes de ses ennemis, elles, sagement empilées à ses pieds, à leur place véritable. Quoiqu'il en soit, cette délicieuse glace mérite qu'il repousse tous ses plans de conquête. Malheureusement pour lui, un bruit à l'extérieur de la caverne semble requérir son attention immédiate.  

« Tenez-moi ça ! » qu'il ordonne à l'un de ses fidèles en lui fourrant la glace dans les mains sans se soucier du démon qui lui rétorque qu'elle sera fondue à son retour. Nonsens, pense Zankou en essuyant délicatement la crème glacée qui tache ses lèvres. A quoi sert ce genre de gourmandises si on ne peut pas la mettre de côté pour plus tard ?

Tandis qu'il s'avance vers l'entrée de la caverne, Zachary -un nom d'emprunt humain trouvé quelques jours plus tôt- réajuste son costard, volé à la va-vite par son bras droit. La veste est poussiéreuse, la faute à cette satanée caverne qu'il déteste de plus en plus. Tant pis, son apparence vestimentaire n'est pas le plus gros soucis à gérer.

« Allons, allons » qu'il envoie à l'homme pris en otage par ses gardes du corps un peu trop zélés. « Allons, allons » qu'il répète en minaudant cette fois-ci, quand ses yeux sombres détaillent le sublime visage de l'intrus. « Rangez vos outils, messieurs, cet homme n'est pas un danger. »

Zankou ne le quitte pas des yeux, cherchant le moindre défaut à cette moue boudeuse mais parfaite. Il s'avance vers lui, avant de tourner légèrement autour de sa position, comme pour jauger sa puissance. Ou ses mensurations.

« La Source n'est pas mon souverain, et il ne le sera jamais, mais je suis prêt à discuter. »

Le démon ne craint pas vraiment ce messager, qui pourtant a l'air d'avoir de la rage à revendre. En réalité, il est trop curieux d'en apprendre plus sur lui et sur sa venue ici pour le tuer, ou du moins, pour demander à ses gardes de le tuer.

« Parlementons dans la salle du trône » qu'il lui lance ironiquement en lui faisant une petite courbette pour l'inviter à se rendre dans la grotte. Zankou le suit de près et ordonne à ses démons de rester à l'extérieur avant de s'assoir sur un rocher qui ressemble vaguement à une chaise.

« Je serais curieux de savoir comment vous avez trouvé cet endroit, jeune homme ? »

Un grand sourire moqueur traverse ses lèvres. Un sourire qui s'efface quand il se souvient que sa glace est désormais dans la main d'un démon, dehors. Tant pis, ce fougueux émissaire fera un parfait gouter.

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Aiden s’était préparé à cette rencontre pendant des jours. Il avait fortifié ses défenses, choisi ses meilleures parades d’attaque, pratiqué plusieurs tactiques d’évasion au cas où la confrontation ne tournerait pas à son avantage. Mais de confrontation, il n’y eu point. A la place, il se tint parfaitement immobile face à la désinvolture apparente du Banni qui jurait avec son statut légendaire. Plusieurs impressions se formaient peu à peu dans l’esprit du Dragon. Un timbre de voix à en faire trembler les parois caverneuses. Une carrure qui en disait long sur sa constitution physique exemplaire. Et dans ses yeux sombres comme la nuit, le charisme des siècles d’expérience. Zankou était bien là, et s’il n’était pas à proprement dire impressionnant sous sa forme actuelle, tout son être semblait exsuder d’un pouvoir subtil, d’une rage silencieuse à peine contenue sous la surface de sa peau immaculée. Les yeux d’Aiden détaillèrent son visage d’apollon, s’attardant un instant sur une tâche blanche au coin de ses lèvres. Serait-ce… Non. Reste concentré.

Le démon intima à ses gardes de ranger leurs armes pendant qu’il l’observait en tournant autour de l'intrus. Toujours parfaitement immobile, Aiden trouvait un certain plaisir à se sentir observé par un démon aussi légendaire. Certes, il aurait pu se vexer que Zankou ne le juge pas un danger immédiat, mais il aimait être sous-estimé. Ses ennemis ne voyaient jamais l’étendue de sa fureur avant qu’il ne soit trop tard. Il brisa enfin le silence quand le démon lui expliqua ne pas être soumis à l’autorité de la Source. Les mots jaillirent de sa bouche avec un automatisme forgé dans le serment magique qu’avait conçu la Prophétesse pour le lier à son Roi. « La Source est le souverain de toutes les créatures qui errent dans son royaume. » Aussi insignifiantes soient-elles. La deuxième moitié de sa phrase s’était perdue dans le feu qui brûlait ses entrailles. Malgré les apparences, Zankou n’avait absolument rien d’insignifiant, et Aiden ne ferait pas l’erreur de l’imaginer impuissant.

Visage fermé et menton relevé, le Dragon suivit le démon jusqu’à sa salle du trône. S’il s’attendait à des colonnes de granit et des vestiges d’une richesse grandiloquente, le sorcier ne pût s’empêcher de froncer les sourcils en constatant qu’il ne s’agissait guère plus que d’un amas de rochers. Pouvait-il s’agir d’une illusion ? Zankou se complaisait-il dans cette image austère pour mieux dissimuler ses intentions ? Quand il reporta son attention sur le Banni, ce dernier s’était installé sur une roche dont la couleur sombre faisait ressortir le noir abyssal de son regard. Troublé, les yeux d’Aiden dérivèrent à nouveau sur la trace blanche qui ornait la commissure de ses lèvres. Comment était-il censé se concentrer et répondre à ses questions dans ce contexte ? « Vous avez un peu de… » Il s’interrompit, incertain du mot à employer. Les mains levées en signe de paix, il franchit le pas qui le séparait du démon et lui adressa un sourire gêné. « ‘Permettez ? Juste ici… » Ses doigts glissèrent contre sa peau chaude et tendre pour y essuyer la petite trace et Aiden se surprit à sourire. C’était de la glace. Évidemment. Le simple nom de Zankou suffisait à répendre la peur chez les plus puissantes entités magiques du monde quand l’intéressé semblait plus occupé à dévorer de la crème glacée. Zankou était une énigme qu’il n’était pas là de percer.

Le lieutenant de la Source rompit le contact et reprit sa place d’invité, soulagé de ne plus être assailli par des pensées trop distrayantes. Qu’avait demandé Zankou déjà ? Ah oui, comment il l’avait retrouvé. Aiden bomba le torse – cela n’avait pas été une mince affaire, mais son arrogance l’empêchait de s’en vanter ouvertement. « J’ai mes méthodes. Remonter les traces d’un début d’insurrection est bien plus simple que l’on le pense lorsque l’on est doté des bons outils. » Des flammèches vinrent caresser ses lèvres amusées. Sa quête avait été difficile mais le buttin vers lequel elle l’avait mené ne rendait l’entreprise que plus louable. « Mais permettez-moi de me présenter – je suis le Dragon de cette génération. La Source m’envoie pour déterminer vos intentions. Ce n’est pas tous les jours qu’un démon de votre… stature refait surface après si longtemps. »

Aiden n’avait pas été invité à s’asseoir – probablement par manque de mobilier – aussi essayait-il de se tenir bien droit pour représenter avec justesse et autorité la Couronne. Il se perdit à nouveau dans la contemplation de son hôte, fasciné qu’il était par cette figure mythique à l’attitude aussi frivole. Il dût se racler la gorge pour se rappeler qu’il était face à un traitre du royaume des Enfers. « Je suis certes bien plus jeune que vous mais je ne suis pas né de la dernière pluie pour autant. Après tout, on ne se fait pas bannir pendant des siècles parce qu’on vole une miche de pain, n’est-ce pas ? »

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La SoUrCe eSt lE sOuVeRaIn dE tOuTeS lEs cRéAtUrEs qUi eRrEnT dAnS sOn rOyAuMe. Zankou préfère esquiver le sujet, de crainte de faire fuir son petit dragon aux ailes atrophiées par sa fidélité envers un roi qui se sert de lui pour accomplir ses basses besognes. Le démon n'a jamais respecté la moindre forme d'autorité. Selon lui, le pouvoir se mérite, il ne s'obtient pas par chance ou par l'aide d'une prophétesse zélée. Quand on dépasse le millénaire de vie, on ne se plie pas aux règles : on les fixe. Ce Pierce Matthews est peut-être le leader de tous ces démons qui pensent être différents des autres, mais il ne sera jamais le sien.

Pour autant, Zankou n'a pas la prétention de conquérir le trône. Pas encore. Pas avec le peu de pouvoirs qui lui reste. Parfois, l'intelligence, la prestance et le charisme ne suffisent pas. Son trône à lui se résume à une caverne sale et poussiéreuse. Zankou n'a même pas de fauteuils à proposer au sorcier dragon. Cette simple pensée lui rappelle une nouvelle fois qu'il n'est plus rien et qu'il a tout perdu. Le pouvoir, il va devoir le reconquérir, pas à pas.

« J'ai un peu de quoi ? D'éloquence ? De beaux cheveux ? Un sens du style imparable ? » qu'il demande à Aiden, le regard ancré dans les pupilles émeraudes de l'autre homme, qu'il détaille sans aucune pudeur.

Lorsque celui-ci s'approche de lui, les mains levées en signe de paix, Zankou laisse un sourire joyeux traverser ses lèvres. Des lèvres qui tressaillent légèrement quand le dragon caresse sa muqueuse du bout des doigts, presque... sensuellement ? Surpris par ce contact physique qu'il n'avait pas prévu, le démon entrouvre la bouche et mordille furtivement la main offerte de son interlocuteur avant de lui lancer un sourire carnassier.

« Je ne sais pas ce que je préfère. L'arôme de cette glace, ou celui de votre peau. »

La réputation de Zankou n'est plus à faire. Ni à refaire. Tous les êtres maléfiques connaissent ce démon réputé invincible. Mais curieusement, l'étranger ne tremble pas devant sa superbe. Mieux, il n'hésite pas à prendre des initiatives, quitte à risquer son courroux. Une témérité que l'hybride approuve fortement. Depuis des siècles, les gens n'osent pas lui tenir tête. C'est surement pour cela que ce dragon lui plait autant. Parce qu'il le voit comme un égal. Du moins, c'est ce qu'il pense, après quelques minutes d'observation minutieuse.

« Un début d'insurrection ? Allons. Je profite de mon retour pour prendre des vacances bien méritées. »

Le sarcasme qui se dégage de sa voix lui arrache un nouveau sourire. La Source craindrait-elle encore son illustre personne ?

« Ces flammèches ont de la chance de voyager entre vos babines expertes. » qu'il envoie au brun tout en époussetant le reste de poussière sur sa veste. « Je suis flatté, je dois l'avouer. Cependant, mon souverain de droit et de foi doit savoir que je ne suis pas un danger. N'est-il pas tout puissant, en ces lieux ? »

Une question rhétorique dont il n'attend aucune réponse. Envoyer quelqu'un faire le sale boulot n'est pas un signe de puissance, mais de faiblesse.  

« Les dragons n'ont pas de prénoms ? Je vous imagine très mal vous rendre à... quel est le nom déjà... » Zankou s'arrête de parler pour réfléchir. « Starbucks, voilà ! » Petit sourire fier sur les lèvres, il continue sa tirade. « Et leur demander de noter le mot dragon sur votre boisson préférée. Au passage, vous devez absolument gouter leur caramel macchiato, qui est exquis. »

Zankou déteste lorsque les gens sont limités à leur seule fonction. Il n'a qu'une envie, secouer l'autre homme pour le forcer à prendre conscience de ce qu'il est : un être puissant et divinement beau qui n'a de comptes à rendre à personne. Personne, pas même la Source. Et tout le monde possède un prénom, même le plus démoniaque des êtres.

« Je suis enchanté de faire votre connaissance, bel adonis. »

Ses intentions ? Un petit soupir traverse ses lèvres boudeuses. Ses seules intentions actuelles n'ont rien à voir avec une quelconque prise de pouvoir. Le dragon devrait le remarquer, au regard de ses sous-entendus et de ses yeux baladeurs.

« Que la Source se rassure. Je ne compte pas prendre le pouvoir. J'ai tant de choses à découvrir, à expérimenter. Je n'ai pas le temps de fustiger votre maître. »

Le dernier mot est presque craché par le démon, de plus en plus énervé par la fidélité du brun envers ce Pierce. Le sorcier dragon possède une force de caractère et une virilité incomparable, Zankou en est persuadé. Comment peut-il se montrer si dévoué et si soumis à un être qui n'a qu'à claquer des doigts pour obtenir ce qu'il souhaite ?

« Lorsque le boulanger ne fait pas correctement son pain, on le remplace, dragonnet. J'ai simplement essayé de mettre la main à la pâte. »

Ennuyé par le ton trop formel et inquisiteur de de la discussion, l'homme croise les jambes et observe ses ongles, qui mériteraient une bonne manucure.

« Je n'ai pas de siège à vous proposer, hormis mes genoux. J'en suis désolé. »