Before the prom [Pv Elisabeth]

Akhila avait réussi à échapper à tous les bals de promo de son lycée, pour finalement se retrouver piégée dans un de ces évènements, pour une université pour laquelle elle n'était même pas étudiante. Si elle avait su, elle aurait peut-être tenté de garder son poste de vendeuse chez Hot Topic un peu plus longtemps...

Les belles robes, la musique neuneu, et l'ambiance bon enfant, très peu pour elle. Au moins, elle n'aurait pas à chercher un cavalier, Akhila se rendrait à la soirée pour travailler, surveiller les p'tits cons qui se croyaient adultes parce qu'ils ne vivaient plus avec Papa et Maman, et préserver la réputation de Berkeley.

Ce dernier point lui paraissait franchement ironique, l'entièreté de sa personne semblant peu digne de l'université et de sa (séduisante) directrice. Akhila peinait toujours à comprendre pourquoi la dame, si classieuse, avait choisi de lui accorder une chance. Elle s'était rendue à l'entretien d'embauche sans conviction, parce qu'elle s'ennuyait et s'amusait de faire tache au milieu de ce bâtiment si posh. Et pourtant, @Elisabeth Caldwell avait choisi de lui donner une chance.

La prenait-elle pour une brebis perdue qu'elle essayait de ramener dans son troupeau ? Ou espérait-elle améliorer un peu son karma en aidant la semi-délinquante qui sautait de job en job sans réel but dans sa vie ? Les deux options la répugnaient, mais Akhila n'allait pas refuser un boulot qui lui rappelait une somme décente chaque mois. Surtout si cela lui permettait d'exercer son autorité sur les p'tits cons qui n'auraient pas hésité à chercher à l'écraser, si elle avait été élève parmi eux...

Actuellement, Akhila s'assurait que le bâtiment qui accueillerait le bal était conforme aux normes de sécurité. Elle repoussa une série de chaises qui bloquait un accès vers une sortie de secours, repérant les extincteurs et le défibrillateur externe automatique. En cas de problème, Akhila devait être rapide à intervenir, tout comme les autres personnes qui assureraient le bon déroulé de la soirée. Si un incendie venait à se produire...

Akhila frissonna à l'idée. En dépit des années passées, le feu continuait à être source de peur pour elle, ce feu qu'elle avait maîtrisé temporairement, et avec lequel elle avait failli tuer Peter Halliwell... A cette pensée, elle se mordit la lèvre inférieure, secouant la tête pour évacuer son anxiété. Bon, elle avait mérité une petite pause...

Seule dans une grande salle avec une piste de danse, Akhila avait bien l'intention d'en profiter. Se saisissant de son téléphone portable, elle visionna un clip musical, représentant une artiste effectuant une danse lascive autour d'une chaise.

S'emparant de l'un des sièges qu'elle avait précédemment repoussé, Akhila, son corps imprégné par la chorégraphie qu'elle venait d'observer, reproduisit chaque mouvement à la perfection, en rythme avec la musique qui s'échappait un peu trop fort de son téléphone portable.

Elle ne s'aperçut pas immédiatement qu'elle n'était plus seule dans la salle, sur le point de finir sa chorégraphie lorsqu'elle remarqua enfin Mme Caldwell. Un brin provocante, Akhila ne prit pas même la peine de s'arrêter, réservant un sourire et un regard intenses à la directrice de l'université, avant de terminer sa danse avec un coup de pied vigoureux dans la chaise, la remettant à la place où elle était supposée être.

Avec une révérence exagérée, presque moqueuse, Akhila salua alors Elisabeth Caldwell :

"Madame la directrice..."

Akhila se redressa, ses lèvres étirées sarcastiquement, rejoignant Elisabeth d'un pas dansant :

"Pas dégueu, la déco. Les chaises devant une sortie de secours, cela dit, je ne le recommanderai pas. Il faut qu'on puisse évacuer les terreurs si la soirée tourne mal."

Passant sa main dans ses cheveux, Akhila continua, scrutant les réactions de sa chef avec un amusement clairement visible :

"Vous me voulez fancy pour la soirée comme vous l'êtes, m'dame ? Je me disais que ce que je portais, ça ferait bien l'affaire."

Akhila rajusta sa veste rapiécée, secouant avec une énergie nerveuse ses jambes recouvertes d'un jean qui semblait avoir neuf vies. Ses Doc Martens claquaient bruyamment sur le sol, son téléphone ayant choisi de diffuser un autre clip de musique, le corps d'Akhila remuant instinctivement au son des instruments et du chant.

Testait-elle ses limites ? Très clairement. Mais Akhila ne le reconnaîtrait jamais. Elle n'était plus une gamine, après tout. Juste une adulte mal ajustée, qui se débrouillait dans la vie.

[ Université de Berkeley, été 2021 ]

Before the prom.

Une rare effervescence s'était propagée dans les murs de l'université ces dernières semaines, période malheureuse pour moi, qui avait fini par avoir des répercutions sur la bonne marche de l'établissement et ce, malgré tous mes efforts pour renverser la tendance. Il faut dire que jamais encore il n'y avait eu autant d'étudiants dans les couloirs de Berkeley, tous semblaient soudainement avoir retrouvé le chemin de l'école, ce qui tenait presque du miracle compte-tenu du fait que certains avaient déserté les cours depuis plus d'un semestre. Il était surprenant de voir ce que la perspective d'un bal pouvait avoir comme impact sur toutes ces petites têtes vides et surtout, sur leur comportement. On ne pouvait déjà pas dire que c'était des prodiges en temps normal, mais il fallait bien avouer qu'à l'approche d'une réception comme celle-là, les étudiants battaient des records de puérilité. A tel point que la migraine s'était installée depuis trois jours sans discontinuer et je devais également lutter contre les nausées à chaque interclasse : et vas-y que ça se tourne autour, que ça se pavane dans les couloirs et que ça batifole lamentablement. Par tous les feux de l'Enfer, qu'avais-je donc fait pour mériter ça ? Il faut croire que ces choses-là me dépasseront toujours autant...c'était de mon point de vue, la corvée annuelle. Une des nombreuses manies humaines qui me feraient presque regretter d'avoir à évoluer parmi eux. Oh bien-sûr, ce n'était pas le véritablement le gala le problème : j'ai toujours adoré les petites soirées et les réjouissances, en particulier lorsqu'elles étaient données en mon honneur ou lorsque je pouvais y faire sensation. Mais certainement pas lorsque je devais chaperonner une clique de jeunes babouins braillards et empotés.

D'un air las, je posais le regard sur la liste desdits primates attendus ce soir. Un relevé qui s'étendait sur plusieurs pages, ce qui en disait long sur l'ampleur de la punition qui m'attendait. Je décelais quelques noms dans le lot, comme celui de Campbell, Jenkins ou encore Watson. Evidement. J'aurais dû me douter que l'élite de la canaille Berkeleysienne serait présente. Je poussais un profond soupir, lançant un regard implorant vers la fenêtre de mon bureau. Peut-être pourrais-je m'éclipser si le supplice devenait trop lourd à supporter durant la soirée ? C'était une éventualité. Au sens propre comme au sens figuré du terme. Après tout, il y avait bien d'autres âmes dévouées au sein de mon personnel qui pourrait prendre la relève, n'est-ce pas ? Je dégageais le document des astreintes, exceptionnellement basé sur le volontariat pour cette occasion et mon visage se décomposa encore davantage. Personne. Personne n'avait souhaité se joindre à moi ou à défaut, partager mon fardeau. Magnifique équipe professorale soudée que voilà. Avec une moue contrariée, je scrutais le seul nom qui figurait sur le pli, inscrit d'office pour effectuer toutes les tâches dont je n'avais guère souhaité me charger. A vrai dire, je m'étais dit qu'avec un peu de chance, faire trimer Akhila Suresh sans relâche aurait peut-être pu la décourager de rester car assez vite, je m'étais rendue compte que la demoiselle était tout sauf qualifiée pour le poste que je venais de lui confier. D'un autre côté, elle était la seule à avoir postulé, je n'avais donc guère eu le luxe de choisir...tant pis pour elle, tant pis pour moi. En fait...surtout tant pis pour moi, car cette femme était loin d'être un cadeau, vous pouvez me croire ! Je ne méritais pas ça.
D'ailleurs, sans doute était-il temps d'aller voir où les choses en étaient avec Suresh. L'ayant lâchement abandonnée dans la grande salle qui servirait pour le bal de ce soir, elle devait veiller à ce que les choses soient en ordre avant l'arrivée des étudiants. Pendant que moi je...et bien...pendant que j'étais occupée avec toute sorte de tâches qui incombaient habituellement aux directeurs d'établissement, voilà ça vous va ? Et justement, l'inspection des travaux finis en faisait partie, c'est donc ce que je m'apprêtais à faire en me rendant sur les lieux du futur crime. Résignée, je poussais alors la porte, songeant que demain, tout serait enfin terminé.

Quelle ne fut pas ma surprise de découvrir Akhila Suresh, à califourchon sur une chaise en train de se trémousser disons, avec une sensualité débridée, en plein milieu de la piste de danse. Se dandinant sans complexe, la jeune femme m'arracha une discrète exclamation de surprise, qui se noya complètement dans la musique qui s'échappait de son téléphone.❝Qu'est-ce que...❞ murmurais-je, déjà prête à rebrousser chemin pour m'épargner ce spectacle, une main sur la poignée. Ah non, je n'avais certainement pas envie de voir ça ! Même si, de toute évidence, la demoiselle maîtrisait son sujet, c'était indéniable. Je clignais des yeux plusieurs fois, réalisant soudain que je venais d'embaucher une ancienne strip-teaseuse, ligne de son CV copieusement fleuri que j'avais vraisemblablement manqué lors de l'entretien. Cette dernière se retourna -mouvement complexe de sa chorégraphie incluant un lancé de jambes suggestif- et m'ayant remarquée, m'adressa un sourire alliciant assorti d'un regard soutenu qu'elle ne détourna pas. Passablement mal à l'aise, je restais figée quelques secondes encore, tentant d'assimiler la scène du mieux que je le pouvais alors qu'elle rejetait son siège d'un coup de pied pour conclure sa prestation. De là, elle se courba pour me saluer, aucunement gênée par le fait d'avoir été surprise en pareille posture. Ne refaites plus jamais ça, Akhila...où je pourrais m'y habituer. Les révérences avaient toujours eu une signification particulière pour moi et c'était maintenant d'autant plus vrai que je venais d'entrer dans les sphères supérieures de la hiérarchie démoniaque. Après un effort particulièrement ardu, je parvins à gommer mon air confus en refermant mes lèvres teintées de rouge, restées légèrement entrouvertes jusqu'ici sous l'effarement.

Elle se dandina jusqu'à moi et je repris contenance devant son expression un peu trop réjouie à mon goût.❝Il est bien trop tôt pour ouvrir le bal, Mademoiselle Suresh. Par ailleurs, j'ai bien peur que ce genre de prestation ne soit pas très appropriée compte-tenu des circonstances. Vous êtes dans une école, ne n'oubliez pas.❞ fis-je en haussant légèrement les sourcils, me retenant à grand-peine de secouer la tête. C'était à croire qu'il n'y avait pas de réelle différence entre les élèves et le personnel, car force était de constater que je devais les sermonner, tous autant qu'ils étaient, comme des enfants de cinq ans.❝Ceci dit vous avez raison, il mieux vaut garder les issues libres d'accès...un accident est si vite arrivé dans ce genre d'évènement.❞ répondis-je en tournant la tête en direction desdites sorties. Evacuer les terreurs, voyez-vous ça. Elle ne pouvait pas mieux dire, puisque c'était en quelque sorte : ma spécialité. Et certainement pas dans le sens où elle l'entendait...

Je suivis son geste des yeux, lorsqu'elle glissa ses doigts dans sa chevelure déjà désordonnée par la danse dont elle m'avait fait la démonstration.❝Je vous veux surtout à votre poste.❞ déclarais-je avec l'ébauche d'un sourire forcé, décelant le compliment sous-jacent. Côtoyant des adolescents au quotidien désormais, j'avais eu l'occasion d'apprendre de nouveaux mots, que l'on utilisait pas à mon époque. "Fancy" en faisait partie, au même titre que "balec" ou encore "le seum". Si je voulais continuer à conserver ma couverture de démon, il m'incombait de m'adapter et plus j'en apprendrai sur cette époque de dépravés et plus cela me sera facile. Je pris quelques secondes pour la détailler de haut en bas, jugeant cette tenue qui lui donnait l'impression d'être passée sous une moissonneuse-batteuse bon marché.❝Mais puisque vous semblez vous questionner à ce sujet, sans doute pourriez-vous améliorer certaines choses au lieu de vous contenter de simplement...faire l'affaire comme vous dites.❞ ajoutais-je sans pouvoir m'en empêcher, comme c'était à chaque fois le cas lorsqu'il était question de critiquer l'allure de quelqu'un. Croyez-moi, vous vous rendrez service ma chère. On pouvait difficilement faire pire, de toutes les manières.❝Oh parfait, la sonorisation est déjà installée.❞ m'exclamais-je soudain en faisant claquer mes talons vers les enceintes et la table de mixage pour les inspecter. Sourcils froncés, je me penchais au-dessus de l'installation, avant de finalement appuyer sur l'un des boutons à tout hasard, me mêlant une nouvelle fois de ce qui ne me regardait pas. La musique se déclencha et je sursautais, surprise par ma propre audace et ma propre chance de n'avoir encore rien cassé de cette technologie dont je ne connaissais quasiment rien.

[ @Akhila Suresh & @Elisabeth Caldwell ]

cactus

Akhila pouvait se targuer d'avoir fait vaciller pendant un bref instant le visage digne de la directrice de l'université de Berkeley. Mme Caldwell avait très vite repris contenance, mais cela n'avait pas empêché l'impertinente demoiselle de remarquer la chose, et elle grava l'image dans sa mémoire, décidée à retrouver cette expression inédite sur le visage de sa chère patronne. Etait-elle privilégiée, car en mesure de voir ce visage qu'Elisabeth Caldwell n'offrait probablement à aucun autre ? Akhila aimerait le croire, même si elle peinait à expliquer exactement pourquoi...

Sa remarque tira un sourire amusé à Akhila, qui haussa les épaules avec la nonchalance qui pouvait parfois être sienne :

"Oh, vous savez, je pense qu'une danse lascive est loin d'être la prestation la plus perverse commise sur ce campus. Ecole respectable ou pas, ça reste un endroit avec une population concentrée de jeunes adultes excessivement hormonaux. Ils ont certainement vu bien pire qu'un petit spectacle de quelques minutes sur une chaise. De plus..."

Non sans provocation, Akhila pointa du doigt le siège sur lequel elle s'était trémoussé :

"Vous m'avez chargée de la sécurité, et je devais donc m'assurer que le matériel était résistant. Je suis certaine que les terreurs pourraient trouver un moyen de porter plainte, si une chaise se cassait sous leur délicat postérieur. Vous ne voulez pas ce genre de publicité, M'dame, croyez-moi. Vous devriez me remercier d'avoir attesté de la solidité de cette chaise. Je peux aussi vérifier toutes les autres, si vous le souhaitez."

Akhila fit mine de se déhancher un bref instant, ses lèvres étirées dans une expression entre sarcasme et sensualité. La jeune femme mentirait si elle affirmait qu'elle ne trouvait pas la directrice séduisante, mais elle souhaitait surtout voir si elle était à nouveau en mesure de déceler le visage déconcerté que Mme Caldwell lui avait laissé voir un court instant, après sa performance débridée. Akhila pourrait peut-être réussir à la capturer en photo, cette fois-ci...

Akhila leva brièvement les yeux au ciel quand Mme Caldwell lui fit savoir qu'elle la voulait à son poste. Elle n'était peut-être pas la plus zélée des employées que l'université avait connu, mais elle ne manquait jamais à ses missions. Elle n'avait été que rarement renvoyée pour ne pas s'être présenté régulièrement à son travail. Généralement, c'était plutôt un problème d'attitude que de ponctualité ou d'absence...

"Fidèle à mon poste, m'dame. Je vous ai bien dit que je viendrai, n'est-ce pas ? Je ne trahis pas mes promesses. Vous pouvez au moins m'faire confiance là-dessus."

Akhila ne put s'empêcher de ricaner lorsqu'Elisabeth Caldwell, fidèle à elle-même, accepta la perche provocante que la jeune femme lui avait tendu, profitant de l'occasion pour lui suggérer de changer sa tenue à l'occasion du bal. Un sourcil levé, Akhila ne put s'empêcher de chercher la petite bête, testant à quel point elle pouvait se le permettre :

"Vous savez, M'dame, faire plus que l'affaire, ça a son prix. Coiffure, maquillage, tenue, c'est probablement facile avec votre salaire de directrice, mais pour votre pauvre petite agente de sécurité plus miséreuse que Tiny Tim, ça représente un sacrifice drastique, peut-être même la renonciation déchirante à mes repas en fin de mois !"

Akhila adopta une posture exagérément dramatique pour illustrer son propos, ajoutant d'une voix tout aussi théâtrale :

"Ne mériterais-je donc pas une prime de risque pour cette soirée à surveiller les chaleurs de nos Terreurs, m'dame Caldwell ? Ou un petit zéro de plus sur ma feuille de salaire ? Avec ça, je vous assure que je serai sur mon 31. Mon 32, même."

Malgré sa dramatisation, Akhila n'était pas entièrement dans le mensonge. Une tenue de bal de promo, c'était indéniablement cher. Si elle acceptait que ses vêtements actuels et ceux qu'elle possédait ne "faisaient pas l'affaire", Akhila allait sincèrement devoir garder l'étiquette de la robe qu'elle acquerrait pour cette soirée, et se la faire rembourser fissa. L'argent, ça ne poussait pas sur les arbres... Pour autant qu'elle le sache.

Akhila ne put s'empêcher de hausser un sourcil en voyant la directrice s'approcher de la table de mixage, et un gloussement lui échappa lorsque la musique se lança après que Elisabeth "Boomer" Caldwell ait appuyé sur un bouton. Akhila s'approcha subrepticement de sa patronne, se tenant résolument trop proche d'elle lorsqu'elle lui déclara avec malice :

"Faites gaffe, à un bouton près, vous auriez pu déclencher le lancement de la bombe nucléaire. Heureusement pour vous, m'dame, ce n'est que Demons d'Imagine Dragons..."

Se laissant guider par son audace, si éloignée de sa raison (pour autant qu'elle en avait une), Akhila tendit la main vers la directrice, utilisant l'autre pour désigner la piste de dance :

"Vous savez que vous êtes traditionnellement supposée ouvrir le bal de promo, M'dame, en tant que directrice de l'université ? Je me doute qu'à votre époque, c'était plutôt charleston et claquettes, mais si vous voulez avoir l'air un tant soit peu moderne, il faut vous mettre à la page. Et ça, c'est mon rayon !"

Pour le coup, Akhila se payait très clairement de la tête de Mme Caldwell, en inventant une soi-disant tradition qui n'avait aucune base solide. Mais pouvait-elle réellement rejeter l'opportunité d'inviter la belle Elisabeth Caldwell sur la piste de danse ? Quand cette occasion se reproduirait-elle, après tout ? Au bal, diraient les mauvaises langues, mais Akhila ne voulait pas risquer de rater sa chance. Pourra-elle réellement parvenir à danser avec sa cheffe, si guindée, si droite et fière ? Ou sera-t-elle remise à sa place avec la fermeté et l'acidité faussement courtoise dont Mme Caldwell
savait si bien faire preuve ?

Akhila était probablement masochiste, mais les deux possibilités l'excitaient tout autant l'une que l'autre...

"Allez, m'dame, il s'agit de défendre votre honneur et celui de votre établissement, après tout !"

Probablement ? Non, définitivement masochiste.

[ Université de Berkeley, été 2021 ]

Before the prom.

J'estimais avoir été plus que bienveillante.
Après tout, je venais de surprendre l'une de mes employées qui était en train de s'adonner à des pratiques plus que douteuses, et sur son temps de travail qui plus est. Ces choses-là ne figuraient certainement pas sur sa fiche de poste et une autre que moi l'aurait sans doute congédiée. Bon oui c'est vrai : si je ne l'avais pas fait c'est que je ne pouvais pas me le permettre...je n'avais personne d'autre pour remettre tout ceci en place lorsque la fête serait terminée. Et il était tout bonnement hors de question que l'on me demande de mettre la main à la pâte, j'allais déjà suffisamment prendre sur moi durant les festivités pour qu'on me l'impose plus que de raison. Même moi, j'avais mes limites. Et il valait mieux ne pas les tester. Je suis un démon supérieur après tout, je suis censée laisser les corvées aux autres. Mais encore fallait-il que les subalternes s'y emploient correctement...je levais une main pour interrompre Akhila, qui venait sournoisement de suggérer un examen complet de toutes les chaises ainsi disposées dans la salle.❝Je vous remercie, je crois que j'en ai bien assez vu comme ça. Je ne doute pas que le reste du mobilier soit suffisamment fonctionnel pour le reste de la soirée.❞ fis-je en fermant les yeux un bref instant, avant de regarder ostensiblement ailleurs lorsqu'elle se trémoussa une dernière fois.❝D'autre part, je veux bien admettre qu'il m'est déjà arrivé d'être confrontée à des euh disons...situations de débauche depuis ma nomination, et la question n'est pas de savoir si les étudiants ont déjà vu pire ou non. Le fait est que vous être un membre de l'équipe désormais et que vous devriez plutôt songer à montrer l'exemple au lieu de leur donner des idées indécentes.❞ déclarais-je, comme pour clore le débat. Fallait-il tout lui expliquer ? Visiblement oui, même le b.a.-ba du décorum et de la bienséance. Aucune éducation. Ce sont des choses qui pourtant, devraient tomber sous le sens. Chez les humains en tout cas, et même moi j'en étais avisée.
Elle s'était alors renseignée sur la tenue à porter pour ce soir ce qui entre nous, n'était pas du luxe, au vu des fripes rapiécées qu'elle portait aujourd'hui. Se présenter ainsi sur mon lieu de travail aurait pour moi été synonyme de honte et jamais, en près de deux millénaires, mon apparence n'avait laissé à désirer. Il semblerait que nous n'ayons pas les mêmes priorités. Aussi, je lui avais fait savoir que je la voulais à son poste, c'était ce que j'attendais d'elle en premier car m'occuper de sa garde-robe s'annonçait être une tâche aussi difficile que de manucurer un wendigo.❝C'est déjà ça.❞ commentais-je à mi-voix, plus pour moi-même qu'autre chose, lorsqu'elle m'affirma qu'elle serait bien à son poste pour le bal. Je regrettais déjà de l'avoir embauchée, autant que son cas ne s'aggrave pas.

Toujours est-il que c'était plus fort que moi. Je ne pouvais décemment pas fermer les yeux sur son accoutrement ces...ces espèces de guenilles rapiécées, avec les coutures élimées et les les reprisages disgracieux qu'elle arborait avec une fierté nonchalante, comme des médailles de guerre, témoignages des probables années à se les mettre sur le dos. Pas étonnant qu'elle me réclame une augmentation, vu l'état. On pouvait même parler de dédommagement à ce stade.❝Apprenez Mademoiselle Suresh, que l'élégance ne consiste pas à enfiler une nouvelle robe pour le bal. Elle ne réside pas dans la richesse des choses, mais dans l'absence de vulgarité...❞ fis-je avec un petit hochement de tête supérieur, après un dernier regard vers ses chaussures grossières à semelles épaisses et vers l'usure de ses jeans.❝Mais puisque vous semblez prête à faire des efforts dans ce sens, peut-être que nous pourrons trouver un arrangement : à situation exceptionnelle, mesures exceptionnelles comme on dit. Alors...surprenez-moi.❞ exigeais-je avec un petit haussement d'épaules. Mise à l'épreuve d'un tout autre style -c'était le cas de le dire- j'étais curieuse de voir ce que cela pouvait donner sur l'agent de sécurité, qui m'avait jusqu'ici habituée à la médiocrité.

C'est donc sous cet ultimatum à peine voilé que je pensais me débarrasser de la jeune femme : trouver une robe pour le jour-même était une mission loin d'être aisée, d'autant plus que beaucoup d'étudiantes surexcitées avaient dû déjà passer par là avant elle. Bon courage, très chère. Pour ma part, je m'étais soudain prise d'intérêt pour la logistique : un prétexte suffisamment sérieux pour m'écarter sans avoir à me justifier plus avant. Ce que je n'avais pas prévu en revanche, c'est qu'Akhila me suive à la trace. Pire encore, qu'elle empiète sur mon intimité en se rapprochant plus que de raison, forçant mon aura démoniaque comme l'aimant (à problèmes) qu'elle était sans aucun doute. Je toussotais légèrement, tentant de me décaler imperceptiblement sur ma droite pour y remédier, alors que la musique s'égrenait dans la pièce sous mon impulsion hasardeuse.❝Une bombe nucléaire, vraiment ? Au moins, nous aurions eu un avant-goût de ce qui nous attend ce soir.❞ fis-je tant avec humour (passablement douteux, je vous l'accorde) qu'avec une pointe de cynisme sans la regarder, détaillant plutôt le boîtier lumineux. Je tiquais sur le nom de ladite chanson, ne voyant pas bien le rapport entre la population des Enfers dont j'étais issue et ce boys band pop-rock à la mode. Est-ce que nous étions, en quelque sorte, une source d'inspiration pour les humains ? J'aimais à le penser. Peut-être qu'à force, j'en viendrais même à aimer cette chanson.
Puis soudain, une main apparut dans mon champ de vision et j'en fixais la paume quelques secondes, avant de glisser un regard interrogateur vers sa propriétaire. Mal à l'aise, moi ? Assurément, je l'étais. Mais c'est à ce moment précis qu'eut lieu l'incident nucléaire. Ou du moins, l'incident diplomatique. Après quelques secondes de silence où j'assimilais non sans mal l'affront qui venait de m'être fait.❝Sachez qu'à mon époque comme vous dites, le charleston n'était déjà plus dansé depuis au moins une soixantaine d'années et sans doute gagneriez-vous à refaire vos calculs, afin de ne plus manquer de tact à l'avenir.❞ articulais-je, peinée en me détournant légèrement, le visage fermé. Cent ans, c'était au moins l'âge qu'elle me donnait puisque cette danse avait connu son apogée dans les années 1920, d'abord ici, avant de gagner l'Europe jusqu'à son extinction une dizaine d'années plus tard. J'étais blessée dans mon estime car j'avais toujours considéré que mon enveloppe humaine était tout à fait honorable de ce côté-là, visage qui ne changeait guère au fil du temps.❝Pour tout avouer, j'ignorais qu'un tel protocole existait, on s'est visiblement bien gardé de m'en informer à mon arrivée. L'année dernière, un discours d'introduction avait été suffisant et c'est précisément ce que je comptais faire cette fois encore. Berkeley étant une université de Sciences et de Lettres et non une école de ballet, je doute que l'on puisse me le reprocher.❞ A vrai dire, je ne comptais pas danser : ni ce soir, ni jamais. Pour ce genre de choses, il fallait être accompagné et c'était une autre condition que je ne remplissais pas. Que j'avais très peu rempli dans ma vie d'ailleurs. Je posais le regard sur sa main, toujours tendue vers moi :❝Vous devriez vous ménager pour votre cavalier ce soir. Au moins sera-t-il à la bonne page, lui.❞ conseillais-je, avec cette légère pique en sourdine. Puisqu'il n'aura vraisemblablement pas passé la barre des cent ans et qu'il saura se montrer assez moderne pour ne pas faire d'impair.

[ @Akhila Suresh & @Elisabeth Caldwell ]

cactus

Cette pauvre chaise sur laquelle Akhila s'était trémoussée serait donc la seule à subir ce sort. La demoiselle était très certainement déçue par la décision ferme d'Elisabeth Caldwell, qu'elle était prête à éblouir une nouvelle fois avec ses talents pour le moins particuliers. Akhila n'aurait pas dit non à l'opportunité de revoir le visage déconcerté de la directrice, une vision rare chez la grande dame, qui semblait toujours en contrôle de ses émotions et de l'image qu'elle renvoyait. Malheureusement, elle allait devoir trouver une autre méthode pour ce faire...

Akhila ne put s'empêcher de tiquer lorsqu'Elisabeth la qualifia de "membre de l'équipe", son sourcil se haussant brièvement à l'idée. La jeune femme était plutôt "louve solitaire", un choix qu'elle avait été forcée de faire après que toutes les personnes vers lesquelles elle s'était tournée avaient fini par l'abandonner ou la trahir.

Il ne s'agissait que de paroles jetées en l'air, mais Akhila se sentait étrangement touchée par les mots de la directrice, même s'ils étaient avant tout destinés à lui reprocher son comportement. Elle ne pouvait toutefois s'empêcher d'éprouver une certaine réserve, comme c'était généralement le cas lorsque quelqu'un tentait une approche à son égard, de quelque nature que ce soit. Akhila avait été blessée trop de fois pour ne pas se méfier d'autrui...

Elle fut rassurée de pouvoir changer de sujet, ne souhaitant guère être analysée par la directrice et devoir admettre le poids que ses mots avaient eu sur elle, ne serait-ce qu'un court instant. Akhila leva néanmoins les yeux au ciel lorsque Mme Caldwell lui fit savoir que l'élégance résidait dans "l'absence de vulgarité". Okay, boomer. Si elle devait réfléchir sincèrement à la définition de l'élégance, Akhila en aurait probablement une idée bien différente de Mme Caldwell...

"N'empêche que c'est plus facile d'être élégante quand on a l'argent et le statut qui va avec. On n'est pas tous nés avec une cuillère d'argent dans la bouche, M'dame."

Néanmoins, le défi que lui jetait la directrice lui plaisait et, bien que l'idée la répugne, elle savait exactement à qui s'adresser pour pouvoir être apprêtée rapidement et correctement pour le bal. Quelques secondes lui suffirent pour adresser un court sms à sa tante Juhi qui, elle le savait, répondrait même si elles ne s'étaient pas vues depuis un long moment. La vieille bique serait trop contente de savoir que sa nièce essayait d'être féminine et apprêtée pour laisser passer cette occasion...

"J'ai fait mes arrangements. Je ne vous promets pas que j'aurais la toilette de Marie-Antoinette, mais croyez bien que je correspondrai à votre définition d'élégance pour le bal, M'dame. Mais, comme la Cendrillon que je suis, pauvre et misérable, je retournerai à mes fripes le jour suivant."

Elle ajouta, avec un clin d'œil et un sourire :

"Ma permission va au-delà de minuit, toutefois, pas de bile à se faire là-dessus. Je resterai aussi longtemps que nécessaire."

Akhila avait suivi Elisabeth de près, ses actions lui tirant un sourire, ses paroles un petit rire. A quel genre d'explosion s'attendait-elle, ce soir ? Akhila n'avait jamais été au moindre bal de promo, les évitant comme la peste, mais elle doutait qu'ils soient aussi intenses et vivifiants que le genre de fête qu'elle avait pu fréquenter au fil des années.

En comparaison, ce serait probablement d'un calme plat. Presque ennuyeux. Mais bon, si son boulot lui demandait de garder un œil sur des gamins le temps d'une soirée, Akhila n'allait pas cracher sur le principe de se faire payer pour ça. C'était bien mieux que certains des boulots qu'elle avait pu faire pour survivre au jour le jour...

Akhila avait espéré que la directrice ferait un pas vers elle et se laisserait entraîner par ses paroles enthousiastes sur la piste de danse, mais elle avait visiblement échoué. Pire, Elisabeth Caldwell semblait sincèrement vexée par ses propos, ce qui n'avait pas été le souhait d'Akhila. Taquiner et agacer, oui. Blesser ? Non, pas si elle pouvait l'éviter. Akhila soupira, se grattant la nuque :

"C'était une blague, M'dame. Je me doute bien que ça fait un bail que le charleston est plus dansé, et que c'était pas le truc de votre jeunesse. Cela dit, si vous me laissez quelques minutes, je peux vous en faire une petite démonstration, si vous voulez ? Je suis une excellente danseuse !"

Et, surtout, il y avait des tas de vidéos Youtube qu'Akhila pouvait regarder, afin de s'en imprégner. Elle devait l'admettre, elle adorait ce pouvoir, et la manière dont elle pouvait l'exploiter au quotidien. L'autre don, en revanche, elle s'en serait bien passée, surtout les ennuis qui allaient avec. Si elle n'avait pas eu ce pouvoir, sa mère...

Akhila chassa cette pensée de son crâne, se mordant nerveusement la lèvre inférieure, tentant de se focaliser sur la situation présente. Malgré le temps passé, elle avait toujours beaucoup de mal à accepter ce qui s'était passé, et refuser d'en parler ou d'y songer ne faisait qu'aggraver les choses, elle le savait bien. Elle aurait le temps de gérer les conséquences de son obstination plus tard... En attendant, elle avait échoué à convaincre Mme Caldwell d'ouvrir le bal et ça, c'était quand même sacrément dommage !

"Ah, je suis sûre que ça aurait eu son petit effet, pourtant. Madame la directrice de Berkeley, ouvrant le bal avec élégance, montrant à tous et à toutes qui est la patronne des lieux... Vous leur auriez retourné la tête, à nos terreurs préférées, pour sûr ! Je vous charriais, y a pas de protocole dans ce genre, mais je reste convaincue que ce serait le meilleur opening de tous les bals de promo confondus. Non pas que j'en sache quelque chose, concrètement, ce sera mon premier."

Akhila grimaça ouvertement lorsque la directrice fit mention d'un possible cavalier, tout en se montrant toujours vexée par sa remarque sur son âge. Elle n'avait invité personne. Pas par manque de temps ou peur d'une réponse négative, mais simplement parce qu'elle n'avait jamais songé à cette possibilité. Akhila était là pour travailler, non ? Elle n'avait pas à avoir de cavalier. Et qui aurait-elle invité, de toute manière ? Un des squatteurs avec qui elle partageait son lieu de vie ? Elisabeth Caldwell aurait très certainement apprécié l'idée...

"Pas de cavalier pour moi. Ou de cavalière. Vous vouliez que je sois là pour assurer la sécurité de l'événement, hein ? Compliqué à faire si j'étais trop occupée à regarder avec des yeux de merlan frit un quelconque Roméo, vous croyez pas ? J'en ai peut-être pas l'air, mais je peux faire mon travail sérieusement, M'dame. Et je sais à quel point une fête du genre peut vite partir en vrille si on ne fait pas gaffe."

Même si elle s'était amusée à faire cette danse lascive, Akhila n'avait pas négligé sa tâche pour autant. Elle était responsable de la vie de ces gamins, particulièrement ce soir, et si quelque chose arrivait qu'elle aurait pu prévenir, elle ne se le pardonnerait jamais. Elle avait déjà blessé suffisamment de gens comme ça...

"Et vous ? Un cavalier pour ce soir ? Ou une cavalière, peut-être ? Je voudrais pas assumer quoi que ce soit à votre sujet, alors je pose la question largement. Quelqu'un d'élégant comme vous, je présume ?"

Un sourire malin s'étira sur ses lèvres, alors qu'elle ajoutait d'une voix dramatique :

"Je vous aurais bien proposé une danse, M'dame, mais hélas, ce soir, je suis le chien de garde, et, comme on le sait bien, les chiens ne dansent pas. Sauf sur des vidéos youtube. 'Paraît qu'ils jouent au poker, toutefois..."

Avant qu'Elisabeth Caldwell n'en vienne à se demander ce qu'elle avait fumé, Akhila s'empressa d'expliquer, ses pensées fusant à vive allure :

"Ce sont des tableaux. Les "Chiens jouant au Poker", c'est une série de tableaux. Je suis peut-être vulgaire, et j'ai pas fini mes études, mais ma cervelle est pas si mal faite que ça."

Akhila détailla du regard la directrice, avant de déclarer d'une voix songeuse :

"La personne qui vous aura pour cavalière, c'est une sacrée chanceuse. J'espère qu'il ou elle s'en rend compte."

Retrouvant son sérieux, Akhila passa une main dans ses cheveux dans un tic incontrôlé, désignant l'ensemble des lieux par un mouvement de bras :

"Je vous fais un rapide récap' du protocole d'évacuation ? S'il y a un problème, les Terreurs seront plus rassurées s'ils voient que leur directrice sait ce qu'elle fait. Ils peuvent râler et être chiants, mais au fond, je sais qu'ils vous respectent et qu'ils vous estiment. En cas de crise, c'est vers vous qu'ils vont se tourner en premier."

Et non, Akhila ne parlait pas d'elle-même. Nope. Certainement pas. Uniquement des Terreurs. Personne d'autre. Elle ? Non, non, non. Pas son genre.

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» in noctem — (austin/elisabeth)
» Elisabeth Caldwell ♔ La peur est un cri, la terreur est un murmure.